Jorge Osorio Vargas

Depuis les années soixante-dix du siècle dernier, l’éducation n’a pas cessé de s’attaquer à de nouvelles questions. La diversité, les relations interculturelles, le respect des langues et des valeurs des populations indigènes sont quelques-uns de ces nouveaux défis. De plus en plus, l’éducation des jeunes et des adultes doit répondre aux besoins de ceux qui, pour les raisons les plus diverses, échouent à l’école et sont tout au plus qualifiés pour des emplois précaires. Tant les établissements que les enseignants doivent s’adapter à ces nouvelles tâches. Ils doivent toutefois réussir pour préserver la cohésion sociale, indispensable au développement de sociétés civiles démocratiques, actives. En partant de l’exemple chilien, Jorge Osorio, professeur d’éducation des adultes au Chili, à l’université de Playa Ancha à Valparaiso, analyse la situation de l’éducation des adultes en Amérique latine. Il a participé à l’âge de quinze ans à la campagne d’alphabétisation de Salvador Allende et n’a jamais cessé depuis de se consacrer à l’éducation des adultes.

Débats critiques sur la situation de l’éducation des jeunes et des adultes (EJA) dans le cadre du droit à l’apprentissage tout au long de la vie (réflexions chiliennes)1

1. Diversité et EJA

La résistance à la dictature militaire, puis plus tard la transition démocratique, ont entraîné des processus culturels de grande importance: a) le renforcement du tissu social, avec comme priorités la diversité et sa reconnaissance politique (égalité entre les sexes, peuples autochtones); b) le développement d’un nouveau leadership au sein des communautés indigènes, qui créent des plates-formes pour défendre leurs droits patrimoniaux et culturels: c) la politisation de thèmes tels que la diversité et l’égalité dans la vie quotidienne, accompagnée de mouvements antidiscriminatoires en termes d’orientations sexuelles, d’égalité entre les sexes et d’appartenance culturelle.

Depuis les années 90 du siècle dernier, le système politique et les réformes éducatives ont tenu compte de ces exigences nouvelles, non sans résistance de la part des conservateurs. la diversité et ses corrélaires – reconnaissance, identité, droits linguistiques, accès aux systèmes scolaires multiculturels – ont été reconnus en tant qu’éléments clés de la mise en place de programmes scolaires adéquats et d’établissements scolaires culturellement pertinents. Ce processus ne s’est pas déroulé sans résistances, tant de la part des milieux conservateurs que de certains acteurs du système scolaire, qui voient dans ces changements des exigences auxquelles l’école est incapable de répondre en raison d’une part, de son incapacité structurelle à intégrer des innovations institutionnelles, d’autre part, du revirement épistémologique-pédagogique qu’entraîne avec elle cette école de la diversité, tant au plan de sa conception que de sa mise en pratique. de toute façon, le développement des écoles interculturelles, la formation des enseignants sur les thèmes de la non-discrimination et de la transversalité (droits humains), la déstigmatisation des cultures autochtones dans les manuels, la reconnaissance officielle de l’enseignement en langues autochtones représentent, entre autres, un modèle parfois contestable étant donné la gestion modérée de la politique éducative et la façon dont sont traités, dans les programmes officiels, des thèmes tels que la sexualité, les droits sexuels et reproductifs des femmes, l’égalité entre les sexes et les orientations sexuelles.

Dans le domaine de l’éducation des adultes, on relèvera les aspects ci-dessous. a) liée à l’origine aux mouvements sociaux (fin du 19e siècle et premières décennies du 20e siècle), l’ éducation des adultes avait caractère de formation politique et associait l’alphabétisation et l’éducation de base à l’organisation et à la vie culturelle des milieux ouvriers. b) dans les années 60 s’est développé un projet crucial d’éducation des adultes directement lié aux réformes politiques, qui s’est traduit par la mise en oeuvre de projets éducatifs avec les paysannes et les paysans à la suite de la réforme agraire dans les secteurs indigènes producteurs; en même temps, l’alphabétisation était considérée comme un processus de conscientisation et d’appui à l’organisation de voisinage et syndicale. c) Parallèlement aux initiatives publiques d’éducation des adultes, qui ont impliqué la création de structures institutionnelles, de programmes-cadres et d’un système de services éducatifs, un important mouvement d’éducation populaire d’origine freirienne s’est développé, qui a joué un rôle extrêmement important dans le développement du tissu social pendant la dictature militaire.

d) au sein de l’éducation populaire des jeunes et des adultes se dessine un modèle pédagogique et social qui reconnaît la valeur de la diversité et des droits à la différence, et qui la considère comme une clé des changements éducatifs. l’éducation populaire chilienne a été l’expression du travail avec la diversitéŸ, promotrice des droits à la différence, de la non-discrimination et de la connaissance des cultures autochtones et locales, tant en milieu rural qu’urbain. On soulignera également le rôle de l’éducation populaire dans l’expansion du mouvement des femmes en faveur de la démocratie et de l’égalité entre les sexes.

e) l’éducation publique des jeunes et des adultes se développe actuellement dans des contextes de diversités à la fois anciennes et nouvelles. les participants, et plus spécialement les jeunes, entrent dans les écoles pour adultes dans des conditions d’échec scolaire, d’exclusion sociale extrême, ou encore envoyés par les services pénitentiaires et de réinsertion. d’autres se distinguent par leur appartenance aux tribus urbaines et par une attitude critique radicale vis-à-vis du système en place. Face à cette situation nouvelle, de nombreux enseignants réagissent en ayant recours à des modèles pédagogiques d’encadrement, d’appui à la résilience et de promotion d’apprentissages sociaux axés sur la participation à la vie sociale et citoyenne. dans ces conditions, les défis sont les suivants: concevoir des programmes adéquats, former les enseignants au travail avec des groupes identitaires divers, pouvoir inclure, conformément à la citoyenneté de reconnaissanceŸ, les populations indigènes résidant dans les villes (phénomène très actuel), adapter les horaires scolaires et les lieux d’apprentissage à la diversité identitaire des participants, créer des capacités de travail avec les groupes paradoxauxŸ qui vivent dans des conditions d’exclusionŸ ou d’auto-exclusion de résistanceŸ, mais qui appartiennent à des réseaux sociaux, utilisent les autres modalités mises à disposition par internet et maîtrisent les codes de l’époque numériqueŸ, renforcer l’influence publique des cadres dirigeants et des enseignants sur la réforme de l’éducation des jeunes et des adultes dans sa version scolaire et non scolaire, afin de répondre aux attentes en ce qui concerne les alphabétisations et les apprentissages anciens et nouveaux, de même que les modes de vie de participants de groupes d’âges et de groupes culturels différents.

2. EJA et jeunesse

Les spécialistes estiment qu’en 2011, près de 70% des adultes de moins de 25 ans fréquentaient des établissements d’enseignement courants. l’intégration de jeunes dans l’ea est une tendance apparue au début de ce siècle. Ceci a créé des situations et des défis nouveaux, tant pour le système régulier que pour les enseignants. Ci-après quelques exemples.

a) les jeunes inscrits actuellement dans des établissements d’eJa sont des jeunes des deux sexes qui ont abandonné l’école, échoué, ou ont été expulsés du système d’enseignement courant pour les enfants et les jeunes. dans ce contexte, on remarquera que ces jeunes sont issus de secteurs pauvres et socialement très vulnérables. il est prouvé que la désertion scolaire est directement liée à l’origine sociale des jeunes, ce qui se manifeste dans les écoles du système d’enseignement courant pour adultes: mineurs délinquants, jeunes en réhabilitation sociale, mères adolescentes vivant dans l’extrême pauvreté. On ajoutera à ce profil: les jeunes qui n’ont pas réussi leur insertion professionnelle, qui n’ont pas terminé leur scolarité primaire ou secondaire, et qui s’inscrivent aux programmes d’ea pour améliorer leur position sur le marché du travail; les jeunes confrontés à des difficultés scolaires en raison de leur condition sociale et familiale, qui ne comprennent pas le sens de l’éducation formelle, et qui s’inscrivent pour terminer leur scolarité et trouver du travail plus tard. Parallèlement à ce type de participants, qui obligent les établissements d’eJa à réviser leur fonction sociale et leurs méthodes pédagogiques, il importe de signaler les jeunes – filles et garçons – travaillant dans des emplois précaires ou exigeant un meilleur niveau de formation, qui viennent pour régulariser leurs acquis d’apprentissage formel dans le but de travailler dans des conditions nouvelles et meilleures, et d’avoir accès aux formations supérieures.

b) Cette situation a contraint l’eJa à développer des processus critiques d’apprentissage et d’adaptation aux nouvelles demandes sociales de formation. Plus spécialement: les formations portant sur la connaissance des cultures, des langues et des formes identitaires des nouveaux sujets de l’eJa, de même que sur les méthodes pédagogiques et d’éducation émotionnelle en rapport avec le renforcement de la résilience et de l’autonomie, le soin de soi et la défense des droits civils. dans ces conditions, l’eJa se place dans une optique de développement des capacités sous tous ses aspects, qu’il s’agisse des capacités nécessaires au succès professionnel ou à la cohabitation sociale et à la participation citoyenne. On signalera que cette dimension de l’apprentissage socialŸ ne répond pas toujours aux exigences des programmes en matière de contenus et des évaluations du système scolaire régulier. l’harmonisation entre la dimension sociale de l’eJa (protection, appui, cohabitation) et ses processus d’enseignement cognitif dans le cadre d’une méthode pédagogique synergique est une tâche qui demande à être développée. Ce n’en est pas moins une tâche importante, dans la mesure où le caractère professionnel et le parcours des enseignant(e)s de l’eJa ne permettent pas toujours d’élargir leur mission éducative, ces derniers étant enfermés dans le modèle scolaire traditionnel adapté aux enfants.

c) les nouvelles réalités de l’eJa ont permis de valoriser la dimension communautaire de l’école, que ce soit par besoin de relier entre eux les milieux familiaux et de quartiers des jeunes inscrits dans les établissements, dans le but d’obtenir de bons résultats dans le travail éducatif, ou par besoin d’améliorer l’adéquation des modes d’enseignement et d’organisation des espaces et des environnements d’apprentissage pour les jeunes, ce qui implique une participation plus active de l’école aux dynamiques et aux codes culturels des lieux d’origine et de socialisation primaire des jeunes. On entrevoit avec satisfaction, bien que pas encore avec l’intensité souhaitée, l’articulation de l’eJa sur les politiques de protection sociale de l’état et sur la promotion de l’emploi jeune et de l’entrepreneuriat. Pour cette raison, de nombreux établissements d’eJa profitent des modalités flexibles du système d’enseignement régulier pour développer des programmes de formation professionnelle et d’amélioration des performances professionnelles techniques.

d) la cohabitation entre groupes d’âges traditionnels et émergents dans les établissements d’eJa est perçue par les enseignants de manière plutôt négative. Mais en dépit de cette réalité, les enseignants s’efforcent de gérer, dans la salle de classe, les différences d’âge et la diversité culturelle et motivationnelle des participants. la recherche et la systématisation des pratiques sont insuffisantes dans ce domaine: il faudrait connaître plus en détail l’itinéraire des jeunes participant à des programmes d’eJa, c’est-à-dire le caractère quotidien que prend leur passage transitoire et intermittent dans les établissements; les formes et les contenus du suivi communautaire et familial des participants de la part de l’école; la mise en place d’espaces collaboratifs, socialement significatifs et attrayants pour retenir les jeunes pendant toute l’année, ce qui implique de mettre en place, parallèlement à l’activité éducative, des espaces culturels et sportifs; la génération de langages éducatifs nouveaux adaptés aux expressions culturelles des jeunes avec les profils signalés: leurs parcours culturels et associatifs, leurs tribus musicales, leur façon de s’exprimer, leur mode de réaction citoyenne, leur façon d’utiliser les nouvelles technologies de la communication, leurs processus hybrides de constitution de la subjectivité (cultures de quartiers + vulnérabilité sociale + exposition au trafic de drogue + recours à la violence + culture numérique + protestation citoyenne + tribus urbaines + constitution identitaire à travers la consommation et les marques+ processus de résilience + appui des institutions traditionnelles (famille, église, clubs sportifs) + appréciation et motivation pour la validation formelle des acquis…).

e) les témoignages des enseignants et des participants documentent les diverses motivations qui poussent les jeunes à suivre le système d’enseignement régulier de l’eJa et le choc que cela produit, par exemple: le caractère progressif et continu des études, le respect des normes de travail et de cohabitation à l’école, l’utilisation du langage dans les rapports entre pairs et avec les enseignants, la valorisation subjective de l’activité éducative axée sur la certification des études, ce qui exige à la fois discipline et orientation à des objectifs d’apprentissage, l’appropriation motivationnelle des exigences du programme officiel qui varient en fonction des groupes d’âges et du type de profil des jeunes, la projection des études dans les activités professionnelles futures à l’intérieur du système face à la banalisation de l’assiduité scolaire des jeunes émergents dans les établissements d’eJa. dans ce contexte, il semble urgent de pouvoir compter sur un leadership fort de la part du corps enseignant et sur l’autorité du secteur, afin d’identifier les défis auxquels est confrontée l’ea régulière et de systématiser les bonnes pratiques; le but est de créer une composante jeuneŸ de l’ea, non pas en tant qu’élément transitoire, mais en tant que résultante structurelle des conditions de reproduction sociale des secteurs les plus vulnérables, afin de renforcer la fonction sociale et culturelle de l’ea dans le cadre de l’éducation sociale des jeunes, de bien articuler la fonction sociale de l’ea et son rôle dans la validation régulière des connaissances, d’ouvrir l’ea à une dimension d’éducation communautaire en se basant sur les modalités de l’éducation populaire et sociale qui se développent dans des territoires communs placés sous une même autorité éducative, de former les enseignants d’ea en pédagogie sociale et au travail en coopération avec les autres professionnels du domaine psychosocial.

3. EJA et cohésion sociale

Le concept de cohésion sociale dans une société telle que la société chilienne est un concept tridimensionnel qui comprend: l’inclusion économique grâce à des emplois décents; la reconnaissance et l’exigibilité des droits sociaux et culturels garantis par l’état; la participation citoyenne et le renforcement de la vie démocratique; tout ceci servant de pistes pour générer un sens communŸ et des contrats sociaux nouveaux répondant aux besoins d’égalité et de non-discrimination. le rôle de l’État socialement intelligent est crucial lorsqu’il s’agit d’identifier les domaines nécessitant à la fois des conditions d’accès à des services publics de qualité et à la gestion des biens communs de la société (par exemple, gouvernance des territoires et des ressources naturelles), et des politiques éducatives et culturelles d’inclusion et de démocratisation de l’accès au savoir de tous les individus tout au long de leur vie. l’ea, dans une approche d’apprentissage tout au long de la vie, contribue à créer des capacités de participation à la vie sociale, renforce le capital cognitif et culturel de la population conformément aux projets de développement dans les régions et les municipalités, et stimule les valeurs citoyennes, qui sont la base de la citoyenneté démocratique active.

4. Le modèle freirien de l’EJA

Freire conçoit l’apprentissage comme une construction individuelle et sociale véhiculée par le langage, par la capacité des individus à donner un sens au monde et au monde-vécu-avec-autrui. sa recherche thématique est une stratégie de décodage des dynamiques structurelles de la société, et plus particulièrement de la subordination. C’est une stratégie de résistance, et par conséquent une stratégie de renforcement de la subjectivité en tant que construction identitaire, mais aussi en tant que conscience du statut de colonisé et de son potentiel libératoire. l’éducateur/éducatrice joue un rôle de médiateur, il est capable de créer des espaces d’apprentissage dans le contexte de la vie collective des sujets en vue d’autonomiser leurs motsŸ et de stimuler l’action collective. vu sous cet angle, on peut considérer la pensée de Freire comme une pédagogie constructiviste: une pédagogie qui veut percer l’opacité de la réalité en employant un direŸ et un langage correspondant à cette réalité. sous cet aspect, la réalité est toujours un langage. Pour Freire, ce processus graduel d’appropriation du monde grâce à l’expression du savoir par le langage est toujours un processus social véhiculé par les codes culturels et par le caractère hybride des structures idéologiques hégémoniques. la connaissance construite au cours du processus éducatif (en termes d’appropriation et d’élaboration de savoirs et de connaissances) doit chercher à défaire les codes en vigueur tout en aspirant à un savoir libérateur en vue d’une politisation par le biais des cercles de culture et des mouvements collectifs. la proposition de Freire est résolument politique dans la mesure où elle fait du processus éducatif un processus communicationnel tant dans le contexte des dynamiques individuelles que dans celui des dimensions publiques du processus éducatif (expression, reconnaissance, argumentation, visibilisation de codes propres, dire le motŸ, autonomisation et autonomie). la pédagogie, en ce qui concerne le discours et la pratique de l’enseignement-apprentissage, est une spirale réflexivo-critique, non verticale, de création collective, qui doit disposer de dispositifs d’apprentissage encourageant l’appropriation cognitive et politique de la réalité: déconstruction – reconstructionŸ, validation sociale de connaissances nouvelles, ouverture à la compréhension du mondeŸ en tant qu’espace dans lequel a lieu la réalisation-libération humaine, création de nouveaux langages d’opposi tion et de participation à la génération de connaissances socialement pertinentes, tant au sens cognitif qu’éthicopolitique.

5. Éducation populaire et EJA: la politicité de l’éducation

une version de l’éducation populaire (eP) attribue une importance particulière à sa capacité d’associer l’éducation aux mobilisations politiques critiques vis-à-vis du système prédominant. l’expérience des années passées a réaffirmé cette vision: l’eP, au cours des dernières décennies, s’est en effet associée stratégiquement au mouvement sandiniste et à la lutte pour les droits de l’homme, par le biais des organisations de résistance aux dictatures du Cône sud de l’amérique latine. Plus tard, dans le cadre d’un processus de refondement, le caractère pédagogique de l’eP s’est redimensionné en s’appuyant sur des stratégies d’apprentissage comme la recherche-action, la systématisation des expériences éducatives, le développement d’un dialogue avec la pédagogie active, critique et socioconstructiviste, et l’extension de son action au domaine scolaire dans les secteurs populaires urbains et ruraux. la théorie de l’eP fait une synthèse intégrative des dimensions politiques et pédagogiques tout en renforçant les processus d’apprentissage en rapport avec l’économie sociale, le respect de l’environnement, la défense des droits de la femme et la reconnaissance des peuples autochtones. l’eP a contribué, entre autres, à potentialiser différents espaces de socialisation et à en faire des espaces éducatifs et de communitarisation d’apprentissages pour la vie professionnelle et citoyenne; sur ce plan, l’eJa formelle et non formelle peut en apprendre beaucoup. dans ce sens, l’eP a développé des méthodologies performantes pour enseignerŸ en milieu communautaire en employant des méthodes participatives et autoconstituantes, afin que les communautés puissent promouvoir et gérer leurs propres éducations. l’eP a travaillé avec le concept de domination-pouvoir capillaire de Foucault, qui réaffirme le caractère politique de l’éducation non seulement dans le domaine public, mais aussi dans celui des rapports de domination dans la vie quotidienne (égalité entre les sexes, sexisme, discriminations urbaines, répression…). les enseignants, en tant que sujets réfléchis, capables de systématiser leurs pratiques et de s’intégrer dans des communautés d’apprentissage encourageant la vision épistémique et la culture enseignante participative et critique, agissent en tant que médiateurs symboliques capables de consolider, de manière herméneutique, leurs apprentissages et leur expérience: ils/elles doivent assumer leur caractère de producteurs symboliques et de sujets actifs participant à la création d’une école en tant que sphère publique.

6. L’EJA, capital synergétique du développement humain

L’eJa doit être capable d’évoluer en fonction des demandes sociales et culturelles de territoires spécifiques. elle est donc l’expression du capital synergétique du développement et renforce les capacités permettant aux individus de devenir sujets de la vie en commun (citoyenneté) et de la vie professionnelle. les programmes d’eJa doivent par conséquent faire participer les institutions et le corps enseignant aux dynamiques qui, agissant dans d’autres domaines, contribuent au développement et au bien-être subjectif. Par exemple: les politiques culturelles, la participation citoyenne et la gestion des espaces communautaires de base. les éducateurs pour jeunes et adultes doivent être capables d’articuler l’école avec les projets d’un environnement spécifique et les communautés concernées par leur mise en oeuvre. C’est de cette manière que se définissent leur profil public et leur rôle catalyseur de dynamiques axées sur l’inclusion et le bien-être dans toutes leurs dimensions, tangibles et intangibles, y compris: vie saine, soin de soi-même, participation active à la gestion des espaces destinés au temps libre, protection de l’environnement, participation citoyenne au travers d’activités artistiques, sportives et associatives en fonction des intérêts communs au niveau local.

7. Les stratégies d’apprentissage en matière d’EJA

Il est important d’identifier les stratégies d’apprentissage en matière d’eJa, l’influence des courants théoriques et pratiques prédominants qui entourent l’apprentissage, tant dans la pédagogie des établissements pour jeunes et adultes que dans la culture enseignante de ceux qui en sont les acteurs.

a) le cycle moderne de l’ea (depuis les années 60) s’est distingué par un regard critique sur les pédagogies verticales et bancaires; l’éducation active et participative, de même que les méthodes d’apprentissage ne se limitant pas à la maîtrise technique et conventionnelle de la lecture et de l’écriture, se sont avérées pertinentes pour le travail éducatif avec les adultes et ont contribué à faire de l’apprentissage une construction culturelle, contextualisée, communautaire et critique. Cette vision a émergé dans un contexte historique de promotion des mouvements sociaux, de sorte que l’ea s’est associée aux processus de réforme politique qui encouragent l’action de sujets collectifs dans le but de développer des projets de transformation institutionnelle. Ceci s’inscrit dans le cycle constitutif de la pédagogie freirienne, les axes principaux étant les suivants: construction et appropriation collective des connaissances au moyen de pédagogies problématisatrices, recherche thématique et action médiatrice-active des éducateurs et éducatrices en tant que systématisateurs et organisateurs d’environnements d’apprentissage communautaires. Cette vision correspond à une version constructiviste fortement enracinée dans un paradigme culturaliste du développement éducatif et dans une métapolitique de la libération et de la suppression des dominations.

b) dans ce même contexte, les réformes éducatives modernisatrices consolident, comme stratégies pédagogiques, la stratégie des technologies éducatives de tradition comportementaliste skinnerienne. la prétention modernisatrice, la conception de l’enseignant(e) en tant que technologue capable de développer des programmes prédictifsŸ et validés dans les pays centraux, sont très séduisants pour les éducatrices et les éducateurs. il s’avère que le besoin de donner des résultats, le caractère fétiche du mesurage et l’accès à des fichiers de tests et à des programmes éducatifs, concourent à la massification des services scolaires, à la garantie de programmes communs et aux possibilités de mesurer les résultats de manière homogène et conformément à des profils préconfigurés par les gestionnaires des politiques nationales. Ce schéma ne tient pas compte de la composante culturelle de l’éducation ni de l’identification de formes particulières de constitution des sujets en fonction de leur milieu vital et de leurs propres formes culturelles. les apprenants sont considérés comme des récepteurs d’actions éducatives d’intégration modernisatrice de style urbain et occidental.

c) le développement d’approches cognitives destinées à la formation des enseignant(e)s va configurer une nouvelle vague d’enseignement, d’origine piagetienne cette fois. le travail éducatif suppose de reconnaître la complexité du développement psychologique des enfants et des jeunes, ce qui demande que l’on prête attention aux processus d’apprentissage plus profonds et pas toujours observables ni mesurables au sens comportementaliste. la conception de l’apprentissage en tant que processus cognitif complexe demande que l’on développe des stratégies pédagogiques mettant en mouvement les capacités enseignantes les plus fines, liées à la reconnaissance des différentes manières d’apprendre et au respect des conditions individuelles de chaque apprenant.

d) une nouvelle étape dans la pédagogie se dessine avec le développement du socioconstructivisme de l’école russe, dont s’inspirent un grand nombre de réformes éducatives dans les années 90 du siècle dernier. l’apprentissage est une construction culturelle. les stratégies d’apprentissage doivent considérer les apprenants comme des sujets porteurs de connaissances emmagasinées et organisées en fonction de leur position culturelle et sociale sur terre et qui, avec l’action médiatrice et ortientatrice des enseignants, peuvent dialoguer avec les connaissances accumulées dans les disciplines et la culture, générant ainsi un processus d’appropriation des savoirs accompagné de potentialités et de possibilités d’accès à des connaissances nouvelles. Grâce à l’orientation heuristique et pédagogique (échafaudages) des enseignant(e)s , les processus de problématisation, de découverte et d’appropriation donnent lieu à des itinéraires d’apprentissage complexes épistémiques nouveaux axés sur l’acquisition de capacités métacognitives qui renforcent l’autonomie et les processus d’apprentissage continus.

e) les approches cognitives ont une influence positive sur l’eJa dans la mesure où, révisées du point de vue critique et socioculturel de Freire, elles fournissent des stratégies d’apprentissage centrées sur la reconnaissance des savoirs propres aux apprenants, de leurs formes de configuration identitaire et de leurs langages: ceci se traduit par l’utilisation de méthodes participatives, par la systématisation communautaire de la connaissance, et par le renforcement du rôle des enseignant(e)s en tant que maîtres-intellectuels-critiques capables de distribuer des outils, de créer des espaces d’apprentissage et de mettre des contenus à la disposition des apprenants. il s’agit de potentialiser les apprentissages significatifs dans le cadre de programmes égalitaires, de façon à ce que l’ea ne soit plus considérée comme l’école des pauvres (telle qu’elle est souvent perçue), mais comme un espace institutionnel de formation à l’exercice de la citoyenneté. Cette approche a encouragé le développement, dans le domaine de l’ea, d’innovations tant au niveau pédagogique (ethnopédagogie, pédagogie de genre) que de la recherche (recherche-action participative, systématisation critique-herméneutique des expériences éducatives, recherche bionarrative et évaluation illuminative) utiles à la formation des enseignant(e)s.

8. Le leadership dans l’EJA

L’activité de l’eJa est institutionnalisée conformément à un cadre programmatique, la gestion administrative est organisée selon les procédures de direction et d’organisation exigées par les référents légaux. la tâche principale consiste à faire fonctionner la machineŸ en portant une attention particulière à la gestion éducative du centre d’eJa. de faire l’inventaire de la demande éducative dans les territoires respectifs, et de coordonner les politiques et les ressources afin de mettre en oeuvre des actions pertinentes.

Il s’agit de renforcer le leadership dans l’eJa. de générer une culture collaborative des enseignant(e)s. de consolider également leur capacité à initier des processus de didactiques et de cultures enseignantes en fonction des profils des participants qui viennent de l’ea (jeunes). Pour cela, il est nécessaire de consacrer du temps et des salaires aux actions de planification, à la conception et à la systématisation des pratiques, et à l’autoévaluation permanente du projet institutionnel de mise en place de l’ea.

Au niveau public et gouvernemental, il faut pouvoir compter sur des politiques d’avenir expliquant la complexité de l’éducation permanente des jeunes et des adultes tout au long de leur vie, en ayant recours à tous les moyens mis à disposition par les technologies de la communication. Ceci implique de générer des initiatives institutionnelles publiques innovantes et d’articuler les établissements d’eJa avec les programmes des organisations non gouvernementales qui pratiquent l’éducation populaire et communautaire.

Les politiques sociales génèrent ainsi des environnements éducatifs qui devraient s’inscrire dans une action coordonnée avec le capital enseignant et l’expérience accumulée des maîtres et des éducateurs populaires et communautaires. lorsque l’on identifie les priorités pour l’ea, il est important d’identifier le capital synergétique qu’elle représente en tant qu’appui durable au développement économique, social et politique du pays. il faut pour cela, penser au-delà des indicateurs PiB du développement, et reconnaître la valeur que représente l’ea dans toutes ses modalités pour le développement humain intégral, le bien-être subjectif et les indices de cohabitation démocratique.

Notes

1 http://merlinescas.blogspot.de/2012/06/debates-critico-sobre-la-situacion-de.html

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